Le peuple insaisissable et la démocratie de sable

m.armanino . 30/05/2024 . Temps de lecture : 4 minutes

Où est passé le peuple dans les pays du Sahel ? S’agit-il des enfants, des jeunes et des adultes qui ont rempli le stade à plusieurs reprises après le coup d’État de fin juillet de l’année dernière ? Ou des groupes de surveillance aux rond-points de la capitale ? Ou encore des milliers de citoyens qui ont exigé le départ inconditionnel des troupes françaises d’abord, puis américaines, sur la place baptisée de la « Résistance » ? Il y a des gens et des gens, comme partout dans le monde, bien sûr. Ceux qui incarnent ses vices et ses vertus et ceux qui, disons, n’en feront jamais partie. Par exemple, les enfants et les adultes qui mendient dans les rues de la capitale par centaines ou qui sont « exportés » vers les pays voisins pour exercer le métier de sauver les âmes des pécheurs. En fait, grâce à eux, les fidèles peuvent pratiquer la vertu de l’aumône et espérer la miséricorde divine. Dans la « zone grise » entre le peuple et le non-peuple, il y a des masses de paysans, d’éleveurs de bétail et l’immense foule de jeunes qui survivent grâce au travail informel pour leur pain quotidien. À moins que « peuple » ne désigne que ceux qui sont du « bon » côté. Il y a le peuple des commerçants, les grands qui vont à Dubaï ou ailleurs, les moyens qui s’efforcent de sortir de la crise, les petits en bordure, et les tout petits qui vendent des sachets d’eau d’une source improbable dans le Sahel, pure et minérale pour tous les goûts. On se souvient du peuple des politiciens du passé, dans une impasse avec la suspension des activités des partis politiques ou à cause de compromis avec l’ancien régime présidentiel de la Renaissance. Le peuple des fonctionnaires d’État, des enseignants, des employés des ONG locales, des survivants des coopérations bilatérales et la liste interminable de ceux qui cherchent du travail et collectent des candidatures pour des concours qui n’arrivent jamais à temps. Il faut ajouter le peuple des entrepreneurs religieux qui organisent la vie religieuse du peuple des croyants, à leur tour divisés entre étrangers et autochtones. Puis il y a le peuple des migrants, des réfugiés, des déplacés expropriés de terres, de maisons et du futur qu’ils imaginaient différemment. Le peuple des militaires est une histoire à part, surtout lorsqu’on considère les grades, les affinités, les connaissances et la position actuelle dans l’administration politique du pays. Les femmes forment également, à leur manière, un peuple spécial avec leurs rituels, leurs attentes, leurs prérogatives et leurs pouvoirs sur la vie quotidienne de leurs enfants et, moins évident, sur leurs maris. Le peuple est donc une idée née quelque part entre le concept de nation et celui d’État. Ou est-ce juste une invention que seul le choix de le nommer permet d’existence ? « Au nom du peuple souverain » sonne presque comme un proclamé absolu au goût divin. La justice, la loi et la constitution sont fondées sur le peuple, tout comme la souveraineté qui leur appartient naturellement. Ce sont les citoyens reconnus comme tels qui semblent constituer le peuple en fonction de l’appartenance historique, géographique, culturelle et politique à un ordre accepté et reconnu. Puis, enfin, il y a le peuple de sable, ou plutôt le peuple pour qui le sable est une créature à part. Balayé par le vent et les balayeuses de rue, aux bords des voies empruntées par les véhicules ou aliéné des orientations stratégiques du pays, vendu et occasionnellement retenu en otage par les nouveaux drapeaux placés sur les rond-points de la capitale. Ceux des pays de l’Alliance du Sahel sont fièrement affichés aux côtés de celui de la Russie. Peut-être que le peuple insaisissable est caché dans la poussière emportée par le vent.

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