Le bon et le mauvais des révolutions

m.armanino . 24/03/2024 . Temps de lecture : 5 minutes

Les gentils arrivent… Ils arrivent, ils arrivent. Le Niger connaît son premier putsch en 1974. Il est organisé par un quatuor d’officiers dirigé par le lieutenant-colonel Seyni Kountché qui justifie sa prise du pouvoir par les difficultés sociales soulignées par la famine… « Après 15 années de règne marquées par l’injustice, la corruption , de l’égoïsme et de l’indifférence à l’égard des peuples auxquels elle prétendait assurer le bien-être, nous ne pouvons plus tolérer la permanence de cette oligarchie. Nous nous trouvons la même année où Edoardo Bennato lance une chanson dont les paroles commencent comme indiqué ci-dessus et se poursuivent comme suit…

Ils ont finalement compris que quelque chose ne va pas ici, les gentils arrivent et disent ça suffit. À toutes les injustices qui ont affligé l’humanité jusqu’à présent.

Le dernier (pour l’instant ?) de la série de putsch a été justifié par le discours du président de la transition, le général Abdourahamane Tiani, à l’occasion des vœux pour la fête de l’indépendance, au mois d’août dernier…’ C’est le place pour réitérer avec une extrême clarté que la seule raison de l’action du CNSP est et reste la protection de notre patrie, le Niger… Simplement, la vie du peuple nigérian et l’existence même du Niger en tant qu’État sont en jeu… il existe des problèmes désormais endémiques de corruption généralisée et d’impunité, de mauvaise gestion, de détournement de fonds publics, de clanisme partisan, de radicalisation des opinions et des positions politiques, de violation des droits et libertés démocratiques, de déviation du cadre étatique au profit d’intérêts privés et étrangers, de l’appauvrissement de nos populations qui travaillent dur »… Même chose, cinquante ans plus tard.

Combien d’erreurs, combien d’erreurs, combien de guerres et de destructions. Mais enfin une nouvelle ère va commencer.

L’histoire de l’humanité est un mélange de sable. Empires, régimes d’exception, républiques, monarchies, dictatures et révolutions s’y poursuivent. Certains plus connus et d’autres moins mais tous avec l’espoir inavoué d’un monde différent, nouveau ou simplement meilleur que le précédent. Sauf que dans l’histoire cela se passe comme dans la vie car rien ne se crée et rien ne se détruit dans l’expérience. Vous tournez les pages du livre dont les pages sont écrites dans le sable, effaçables et, tout comme la vie, fragiles. Trop souvent, les promesses des partisans des révolutions n’étaient que des mirages coupables. D’autres fois, les aspirations légitimes du peuple sont alors trahies par la réalité de la vie quotidienne. En effet, l’expérience enseigne que le bien et le mal, la sagesse et la folie, la vérité et le mensonge se mélangent et se confondent selon les saisons et les rapports de force. On passe alors d’un état d’exception à la normalité. si nous le voulons, c’est la banalité du mal qui aspire à un nouveau putsch avec d’autres justes qui, enfin, permettront aux « méchants » de ne pas faire de mal.

Les bons arrivent et ont les idées claires et ont déjà fait une liste. De tous les méchants à éliminer.

Les listes sont flexibles et insaisissables car elles aussi sont faites de sable et donc modifiables. Ce n’est pas un hasard si des procès sommaires sont organisés contre des criminels notoires. Des comités de santé publique et de protection de la révolution sont souvent créés et seuls ceux qui donnent des assurances d’honnêteté transparente, des personnes aux « mains propres », seront sauvés de la répudiation. Ce sont eux qui sont choisis pour gouverner ou du moins guider et préserver l’esprit de la révolution. La justice montre clairement ce qu’on attend d’elle et donc une soumission volontaire aux puissants du moment. Les citoyens, les militants, les corrompus et ceux qui corrompent le système disparaissent. Des listes continuellement mises à jour sous la houlette de personnes « éclairées » par l’air du temps et par le sens de l’histoire des lauréats. Bien entendu, ce processus d’identification des « méchants » s’apparente à un chantier permanent par vocation et demande surtout du temps, des années et constitue ce qu’on définit comme une « révolution permanente ». Tout cela durera jusqu’à ce que les nouveaux maîtres soient, tôt ou tard, eux-mêmes victimes de leur temps de transition. D’autres bons arriveront, meilleurs que les précédents pour achever le travail. Alors maintenant, les gentils ont mené une guerre contre les méchants, mais ils ont une assurance. Quelle que soit la dernière guerre qui sera menée, une nouvelle ère va enfin commencer.

Il est difficile de dire si ce que nous avons désigné jusqu’à présent sous le nom pompeux de « révolutions » l’a réellement été. Ou bien ce furent des chroniques de trahisons annoncées dès leur origine sachant qu’entre les moyens utilisés et la fin poursuivie il y a une complicité et une continuité indissociable. Peut-être que la seule révolution authentique qui mérite ce nom est celle qui ne sait pas qu’elle en est une, consciente de sa fragilité intrinsèque et humaine. La seule qui se rapproche de cette utopie est celle que le sable cache jalousement aux yeux des « bons » gens.

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