Les Frontières Migrantes d’Abdou Boubacar

m.armanino . 04/06/2024 . Temps de lecture : 4 minutes

Les frontières existantes entre le Niger des colonels et le Bénin de Patrice Talon, roi incontesté du coton et président du pays, sont honteusement fermées. En raison des sanctions appliquées en réponse au coup d’État militaire de fin juillet dernier, des centaines de camions et de conteneurs sont bloqués de l’autre côté du pont. Maintenant, même la pirogue inoffensive, qui permettait aux passagers de traverser le fleuve Niger, a reçu un ordre d’arrêt.

Cela signifie que, comme dans un passé lointain, les frontières entre les deux pays voisins sont complètement ou presque complètement fermées. En fait, il y a l’oléoduc disputé qui transporte le pétrole ‘chinois’ du Niger à la côte atlantique du Bénin qui maintient une frontière sinon totalement infranchissable ‘vivante’. Le libre mouvement des personnes et des biens dans l’espace des pays d’Afrique de l’Ouest, en bref la très contestée CEDEAO, s’éloigne une fois de plus de la réalité. Ce n’est pas du tout le cas d’Abdou Boubacar, sorti de la dernière frontière qui l’a emprisonné pendant quatorze mois à cause d’un crime jamais commis dans la ville de Dosso, non loin de la capitale Niamey. Il dit être né en Côte d’Ivoire mais sur le papier de sortie de prison il est écrit Monrovia, la capitale du Liberia. Il dit avoir étudié au Liberia où l’on parle anglais mais son français est presque parfait. Il affirme que, étant donné que sa mère est ivoirienne, il passait les vacances avec elle et cela expliquerait tout. Adolescent, il suit son frère aîné jusqu’en Mauritanie puis retourne dans une patrie choisie au moment et selon les circonstances. Selon le papier de sortie, Abdou serait né en 2003 et aurait donc 23 ans et aurait franchi au moins le même nombre de frontières, sinon plus. Il décide de traverser la mer et pour cela quitte le Liberia, passe par la Guinée, le Mali et, après avoir navigué dans le désert du Sahara, arrive en Algérie. Il travaille quelques mois à Alger dans les chantiers comme carreleur, manœuvre et peintre. Le temps nécessaire pour aller en Libye et tenter enfin le rêve de la Méditerranée pour atteindre l’Italie. Après un court séjour à Tripoli, il paie 1700 euros au ‘passeur’ pour la dernière place disponible sur le bateau. Il assure qu’il y avait 113 passagers de toutes nationalités d’Afrique et d’ailleurs, y compris des femmes et des enfants. Partis au crépuscule, ils ont été arrêtés par les gardes-côtes libyens à peine une centaine de mètres de la côte. Mis à travailler gratuitement pendant quelques mois par quelque chef, il retourne en Algérie où, cette fois, les gardes et les militaires l’arrêtent et le déportent jusqu’à la frontière du Niger. Il traverse, avec d’autres comme lui, la frontière invisible entre les deux pays la nuit pour atteindre une ville principalement habitée par des migrants expulsés appelée Assamaka. Après un court séjour, avec l’argent caché dans les parties intimes de son corps, il atteint Arlit, Agadez et, dans la ville de Dosso, passe la porte de la prison civile. Il exhibe le papier de sortie de prison comme le seul trophée gagné en ces années de transgressions des frontières. Quatorze mois inutiles de prison pour un jeune homme de peu plus de vingt ans ne sont pas peu. Abdou se surprend, affamé et perdu, à compter le nombre de frontières qu’il a traversées depuis sa naissance qui sait où, quand et pourquoi. Peut-être retournera-t-il là où il a commencé pour tenter à nouveau la patience du désert et l’incertitude de la mer. Abdou demandera la destination de son voyage aux frontières qui. Jusqu’à présent, ne l’ont jamais trahi.

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